Jensen Interceptor : la GT anglaise au cœur américain
Dans le grand livre des voitures de légende, certaines pages ont été trop vite refermées. La Jensen Interceptor, elle, fait partie de ces chapitres oubliés, ceux qu’on redécouvre avec un mélange d’étonnement et de respect. Produite entre 1966 et 1976, cette GT britannique au moteur américain avait tout pour séduire, élégance, puissance et personnalité. Pourtant, elle n’a jamais eu la notoriété d’une Aston Martin ou d’une Jaguar E-Type. Injuste oubli ? Assurément. Car cette voiture de collection incarne mieux que beaucoup le grand tourisme à l’anglaise, du cuir, du métal, du muscle et une dose de folie.
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Une GT née de l’audace britannique
Pour comprendre la naissance de la Jensen Interceptor, il faut remonter aux années 60. Jensen Motors, petite firme fondée à West Bromwich dans les années 30, s’est fait un nom en produisant des carrosseries pour d’autres marques avant de construire ses propres voitures. Mais au milieu des sixties, l’objectif est clair, rivaliser avec les plus grands. Les dirigeants veulent une GT capable de concurrencer les Aston Martin DB5 et DB6, Facel Vega HK500 et les italiennes.
L’idée paraît ambitieuse, presque irréaliste. Comment une petite marque pourrait-elle affronter les géants ? Pourtant, Jensen ose. Et cette audace, c’est justement ce qui rend la marque si attachante. En 1966, la première Interceptor voit le jour, élégante, puissante, et déjà très exclusive. Une voiture ancienne qui, dès ses débuts, impose un style et une présence.
Pour les curieux de mécanique, jetez un œil à la fiche technique de la Jensen Interceptor MKI
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Jensen Interceptor : un style signé Touring et Vignale
Si la ligne de la Jensen Interceptor séduit encore aujourd’hui, c’est parce qu’elle est l’œuvre du studio italien Touring de Milan, puis de la carrosserie Vignale qui en assura la production. Imaginez, une GT britannique dessinée par des Italiens et motorisée par des Américains. Un cocktail improbable, mais explosif.
La silhouette longue et basse dégage une élégance rare. Son immense capot, ses flancs tendus et sa lunette arrière panoramique lui donnent une allure à part, presque féline. L’habitacle, tout de cuir et de bois, respire le luxe discret : instruments Smiths, sièges moelleux, console centrale enveloppante. On s’y sent aussi bien que dans un club londonien feutré, sauf qu’ici, les fauteuils chauffent à 200 km/h.
Comme souvent chez Jensen, le design n’est pas qu’une question d’apparence, l’Interceptor est aussi une vitrine technologique. Et dès la fin des années 60, la version FF (“Ferguson Formula”) propose un système à quatre roues motrices et un ABS mécanique, deux innovations incroyables pour l’époque.
Sous le capot, un cœur américain
Sous la carrosserie élégante bat un cœur de brute, un V8 Chrysler venu tout droit des États-Unis. D’abord un bloc de 6,3 litres (383 ci), puis un 7,2 litres (440 ci) développant jusqu’à 330 ch. C’est simple, à l’époque, aucun constructeur britannique n’a un moteur aussi généreux ni aussi fiable.
Cette alliance entre raffinement anglais et mécanique américaine fait tout le charme de la Jensen Interceptor. D’un côté, le confort et le style d’une GT vintage ; de l’autre, la sonorité rauque d’un V8 qui ronronne à bas régime et rugit dès qu’on appuie. Une mécanique pleine de couple, de caractère et d’arômes d’essence pure.
Ce contraste a quelque chose de fascinant. Comme si un gentleman en costume trois-pièces décidait soudain de jouer du rock’n’roll. L’Interceptor, c’est exactement ça, la politesse britannique propulsée par la brutalité yankee.
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Performances et sensations au volant
Avec plus de 1,6 tonne sur la balance, la Jensen Interceptor n’est pas une ballerine. Pourtant, ses 330 ch lui permettent d’atteindre 230 km/h et de passer de 0 à 100 km/h en environ 6,4 secondes, des chiffres plus que respectables à la fin des années 60.
Mais au-delà des chiffres, c’est le ressenti qui compte. On parle ici d’une GT taillée pour avaler les kilomètres, pas pour danser dans les virages. Le long capot s’étire devant vous comme un tarmac d’aéroport, la direction est douce, la suspension souple, et le moteur pousse avec un souffle continu. Conduire une Interceptor, c’est un peu comme piloter un salon roulant dopé aux stéroïdes.
L’expérience est sensorielle, immersive, presque anachronique. Chaque trajet devient une traversée du temps, on sent la mécanique vivre, vibrer, respirer. Une sensation légendaire dans un monde où les voitures deviennent silencieuses et interchangeables.
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Luxe, rareté et modernité avant l’heure
Jensen voulait construire une GT moderne, et sur ce point, l’objectif est atteint. L’Interceptor offrait déjà la climatisation, les vitres électriques, la direction assistée, la boîte automatique et même des ceintures à enrouleur. En 1966 ! À une époque où la plupart des voitures sportives demandaient de l’huile de coude pour tout, elle jouait la carte du confort.
La version FF, encore plus rare, impressionne : transmission intégrale Ferguson, répartiteur de couple, et système anti-blocage Dunlop Maxaret dérivé de l’aviation. C’est tout simplement la première voiture de série au monde dotée de ces deux technologies. Un exploit souvent oublié, mais qui prouve que Jensen était bien plus qu’un assembleur de pièces américaines.
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Une voiture de collection recherchée
La production s’est arrêtée en 1976, après environ 6 400 exemplaires. Jensen Motors, minée par des difficultés financières, a fini par disparaître. Mais la légende, elle, ne s’est jamais éteinte.
Aujourd’hui, la Jensen Interceptor est une voiture de collection recherchée des amateurs éclairés. Son charme atypique, son moteur Chrysler et son design intemporel en font une pièce très prisée, notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis. Les prix varient selon la version et l’état, mais un bel exemplaire dépasse souvent les 100 000 €.
Elle incarne parfaitement cette génération de youngtimers de prestige qui retrouvent une seconde jeunesse : assez anciennes pour être authentiques, mais encore modernes pour rouler sans crainte. Et si, au fond, c’était elle, la vraie définition du grand tourisme ?
Conclusion
La Jensen Interceptor symbolise une époque où les voitures avaient une âme, un son, une présence. Elle n’a pas la notoriété d’une Ferrari, ni la pureté d’une Aston Martin, mais elle possède quelque chose de plus rare : l’audace. Celle d’une marque anglaise qui a osé marier le meilleur des trois mondes : le design italien, la puissance américaine et le savoir-faire britannique.
Un mélange explosif, attachant, et profondément humain. En somme, une voiture comme on n’en fait plus.
Nota Bene :
Entre élégance italienne et muscle américain, la Jensen Interceptor défie toutes les catégories. Son charme vient justement de là, une GT sans frontières, née de la passion plus que de la raison.
Et c’est sans doute pour cela qu’elle continue de captiver les passionnés du monde entier.
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