Jensen : l’histoire d’un constructeur anglais aussi discret qu’audacieux
Parmi les grandes marques britanniques, on cite souvent Aston Martin, Jaguar ou Bentley. Et pourtant, derrière ces géants se cache une maison plus modeste mais tout aussi fascinante, Jensen. Artisan de génie, pionnier technique et symbole d’un certain raffinement anglais, ce constructeur a marqué l’histoire automobile à sa manière, sans jamais vraiment chercher la lumière. Voici l’histoire de Jensen, celle d’une marque qui a préféré l’audace à la notoriété.
Crédit photo: jensenmuseum Les frères Jensen à droite
Les frères Jensen : deux ingénieurs passionnés
Tout commence avec deux frères, Alan et Richard Jensen. Dans les années 1920, ces ingénieurs du Midlands conçoivent déjà leurs premières voitures dans un petit atelier. Leur obsession ? Construire des automobiles sportives, élégantes et différentes. En 1934, ils fondent officiellement Jensen Motors Ltd à West Bromwich.
Loin des usines géantes de Coventry, Jensen revendique une approche artisanale, chaque voiture est assemblée à la main, selon les souhaits du client. Les frères Jensen refusent la standardisation. Leur philosophie est simple, créer des voitures de sport luxueuses, performantes et uniques. Ce mélange de rigueur mécanique et de créativité britannique fera rapidement leur réputation.
Crédit photo: rmw Jensen S type 1936
Les années d’avant-guerre : élégance artisanale
Dans les années 1930, Jensen collabore avec Ford, Wolseley et Standard pour produire des carrosseries spéciales. Les “S-type” et “H-type”, deux de leurs premiers modèles, affichent un style fluide et raffiné, proche des réalisations de Bentley ou Lagonda, mais à des tarifs bien plus abordables.
Leur élégance séduit jusque de l’autre côté de l’Atlantique : les Jensen commencent à s’exporter vers les États-Unis. La qualité de fabrication, la ligne fastback et les intérieurs luxueux rappellent que ces voitures anciennes étaient avant tout pensées pour le plaisir du conducteur. Déjà, on sent la signature Jensen : un savant équilibre entre charme anglais et modernité technique.
L’après-guerre et la renaissance du style anglais
Après la guerre, Jensen reprend la production en 1946 avec la PW, une berline haut de gamme, puis une nouvelle Interceptor en 1950. Le design, signé Eric Neale, se distingue par des lignes douces, un profil fastback et un souci du détail rare pour une petite marque.
Mais le vrai tournant industriel viendra un peu plus tard, grâce à Volvo. En 1961, le constructeur suédois cherche un partenaire capable de produire sa nouvelle sportive, la P1800. Séduit par la qualité d’assemblage et le sérieux britannique, Volvo confie à Jensen la fabrication des premières séries dans son usine de West Bromwich. Environ 6 000 exemplaires sortiront ainsi entre 1961 et 1962, avant que la production ne soit rapatriée en Suède. Ces premières P1800, reconnaissables à quelques détails de finition, seront plus tard surnommées les “Jensen”.
Cette collaboration donne à Jensen une expérience précieuse, celle de la production industrielle à plus grande échelle. Forte de ce savoir-faire, la marque peut envisager de concevoir à nouveau ses propres modèles tout en conservant son esprit artisanal.
Dans un Royaume-Uni en pleine reconstruction, Jensen devient ainsi une vitrine du savoir-faire britannique : élégance, discrétion et efficacité, mêlées désormais à une rigueur industrielle héritée de Volvo.
Crédit photo: Classic-trader Jensen Interceptor MKI 1967
L’apogée de l’histoire Jensen : Interceptor et FF, deux icônes absolues
Le chef-d’œuvre arrive en 1966 : la Jensen Interceptor. Design signé Vignale à Turin, châssis britannique, moteur V8 Chrysler sous le capot, un cocktail détonant. Avec plus de 325 ch et une allure féline, l’Interceptor symbolise la fusion du luxe européen et de la puissance américaine. Son immense lunette arrière panoramique en forme de bulle est devenue une signature visuelle unique.
Mais la véritable révolution, c’est la Jensen FF (pour Ferguson Formula), présentée la même année. C’est la première voiture de série au monde à adopter la transmission intégrale permanente et un système de freinage ABS (le Dunlop Maxaret, dérivé de l’aéronautique). Une décennie avant Audi ou Mercedes, Jensen osait déjà marier traction intégrale et sécurité active.
La FF, un peu plus longue que l’Interceptor, coûtait presque deux fois plus cher. Peu de clients purent s’en offrir une, mais elle restera un jalon historique, celle qui prouvait qu’un petit constructeur pouvait devancer les géants. Une page essentielle dans l’histoire Jensen, celle d’une audace technologique sans équivalent à l’époque.
Crédit photo: erclassic Jensen Healey
Déclin et disparition : le revers du rêve
Malheureusement, les années 1970 changent la donne. Les chocs pétroliers rendent les gros V8 indésirables, et la crise économique fragilise les petits constructeurs. Jensen, trop artisanal pour rivaliser sur les coûts, voit ses ventes s’effondrer.
En 1976, l’entreprise dépose le bilan. Quelques tentatives de relance suivent, la Jensen-Healey, un roadster conçu avec Lotus et Donald Healey, rencontre un certain succès critique, mais pas commercial. Malgré ses qualités, elle n’arrive pas à sauver la marque.
Des investisseurs reprennent sporadiquement le nom, notamment dans les années 1980 et 1990, en tentant de relancer l’Interceptor sous forme modernisée. Mais sans véritable production ni moyens industriels, Jensen reste une étoile filante du ciel automobile britannique.
Crédit photo: classicdriver Jensen Interceptor FF
L’héritage Jensen : élégance, innovation et rareté
Aujourd’hui, les Jensen Interceptor et FF figurent parmi les voitures de collection les plus recherchées d’Angleterre. Les clubs Jensen se multiplient, les restaurateurs spécialisés refont vivre les rares exemplaires survivants, et certaines entreprises proposent même des Interceptor “restomod” avec moteur électrique et intérieur modernisé.
Ce qui fascine, c’est cette combinaison de pureté mécanique et d’innovation. Jensen n’a jamais couru après le volume, mais après la perfection. Son héritage réside dans cet équilibre entre passion et technique, des lignes intemporelles, une puissance brute et des avancées technologiques en avance sur leur temps.
Pour beaucoup de collectionneurs, rouler en Jensen, c’est rendre hommage à une époque où un petit atelier anglais pouvait révolutionner l’automobile mondiale. Peu de marques peuvent en dire autant.
Conclusion
Jensen n’aura jamais été une marque populaire, mais elle a marqué durablement les esprits. En quelques décennies, elle a prouvé qu’une entreprise à taille humaine pouvait être à la pointe de la technologie et du design.
Son nom évoque aujourd’hui un certain romantisme, celui d’une voiture de collection née de la passion, façonnée par la main de l’homme, et guidée par l’idée qu’une voiture pouvait être belle, rapide et sûre à la fois. L’histoire de Jensen, c’est celle d’une élégance discrète devenue légende.
Nota Bene :
Jensen n’a pas seulement fabriqué des voitures, elle a dessiné une vision de l’automobile où la technologie servait le plaisir de conduire. Sa disparition n’a pas éteint cette flamme ; elle l’a rendue mythique, comme une Interceptor surgissant d’un autre temps.
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