Afghanistan : échecs interdits, victoire du non-sens
En Afghanistan, les talibans viennent de mettre… échec et mat à la liberté de réfléchir. Le gouvernement en place vient d’interdire purement et simplement la pratique du jeu d’échecs. Motif invoqué ? Ce serait, tenez-vous bien, « un moyen de parier de l’argent », et donc contraire à la loi sur la Propagation de la vertu et la prévention du vice (PVPV). Un acronyme qui sonne déjà comme une mauvaise blague, mais qui ne fait rire personne sur place.
Le jeu d’échecs, vieux de plus de mille ans, déjà adulé dans le monde islamique médiéval, se retrouve subitement considéré comme une menace morale. Quelle ironie. Alors que ce jeu repose précisément sur la réflexion, l’anticipation et l’équilibre stratégique, voilà qu’il est banni par ceux qui gouvernent au nom d’une vision figée du monde.
Faut-il rappeler que dans bien des pays musulmans, de grands maîtres participent à des compétitions internationales ? Faut-il rappeler que dans les cafés de Kaboul, ces parties étaient souvent une manière pacifique pour les jeunes (et les moins jeunes) de se rencontrer, d’échanger, de se défier intellectuellement ? Non, tout cela semble désormais suspect. Pas à cause d’un excès de violence ou de propagande, mais à cause d’un potentiel… pari. Même sans argent. On ne sait jamais, un pion pourrait mal tourner.
On croirait lire une parabole absurde. Les arts martiaux mixtes, jugés trop violents, ont déjà été bannis. Les femmes, quant à elles, sont progressivement effacées de l’espace public. Et maintenant, ce sont les fous, les cavaliers, les reines et les rois qui sont renvoyés à l’ombre. Comme si chaque forme d’échappatoire au contrôle était devenue suspecte.
Mais où s’arrêtera cette logique ? Faudra-t-il un jour interdire le puzzle, parce qu’il implique de « remettre de l’ordre » ? Le Scrabble, parce qu’il donne trop de mots à ceux qu’on préfère faire taire ? Le simple fait de réfléchir calmement, d’anticiper un coup adverse ou de reconnaître une défaite honorable deviendrait-il, lui aussi, suspect ?
La vraie partie d’échecs, ici, oppose ceux qui cultivent l’intelligence et la nuance à ceux qui veulent imposer l’obéissance absolue. Et cette fois, hélas, les talibans viennent de jouer un coup sinistrement gagnant.
Nota Bene
Dans un pays où chaque activité devient un terrain de contrôle idéologique, même les échecs sont perçus comme subversifs. C’est comme si l’absurde avait roqué avec l’autoritarisme. À ce rythme, on finira par accuser le sudoku de radicalisation silencieuse.
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