Foule en concert tenant des smartphones levés pour filmer la scène sous des lumières bleues.

Tout filmer, c’est oublier de regarder ?

On dirait qu’on ne vit plus les choses, on les capture. Un concert ? Téléphones en l’air. Une manif ? Stories à gogo. Même les couchers de soleil n’échappent plus à l’objectif. Le monde devient un souvenir… enregistré. On ne partage plus un moment, on le convertit en contenu. Il faut tout filmer.

Je ne suis pas contre la technologie. J’ai un smartphone, moi aussi. Et parfois je filme. C’est pratique, parfois émouvant, souvent tentant. Mais pourquoi ce besoin frénétique de tout conserver en pixels ? Est-ce qu’on regarde encore ce qu’on vit, ou bien est-ce qu’on se contente d’attendre la fin pour “revoir” ce qu’on n’a pas vraiment vécu ?

C’est comme si l’instant n’avait de valeur que s’il était documenté. Pas de vidéo, pas de preuve. Pas de story, pas d’existence. T’étais à ce mariage ? Montre. T’as vu ce feu d’artifice ? Balance le clip. T’as croisé une star ? Selfie ou ça n’a pas eu lieu. À ce rythme, les souvenirs ne passent plus par le cœur, mais par la pellicule numérique.

Et soyons honnêtes : on regarde rarement ces vidéos. Elles finissent dans des dossiers qu’on n’ouvre plus, écrasées par les suivantes. Comme une boulimie de mémoire artificielle, mais un appétit creux de réel. Ce n’est même plus une collection de souvenirs, c’est un empilement de preuves floues. On filme comme on tamponne une carte de fidélité : pour dire “j’y étais”, pas pour ressentir quoi que ce soit.

Je me demande parfois si on ne filme pas pour combler un vide. Comme si vivre ne suffisait plus. Il faut montrer, partager, archiver, prouver. L’instant ne se savoure plus, il se “contenu-tise”. Et au passage, on oublie de lever les yeux. On oublie la chaleur de l’instant, le son pur, l’odeur de l’été, la peau des gens qu’on aime. On appuie sur “rec” au lieu d’appuyer sur “pause”.

Et pourtant… il y a des moments qui méritent d’être vécus pour eux-mêmes. Juste pour la beauté d’un silence. Pour la complicité d’un regard. Pour le frisson d’un son qu’aucune caméra ne pourra jamais restituer. Comme un klaxon dans un monastère, cette frénésie numérique vient briser quelque chose de fragile : la présence.

Filmer ou vivre : et si, parfois, il fallait vraiment choisir ?

Nota Bene

Le souvenir ne passe pas forcément par une vidéo. Il passe par une émotion, un regard, un silence qu’aucune caméra ne pourra capter. Filmer, c’est figer — mais vivre, c’est vibrer.

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